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Ouagadougou ... Tananarive... La Réunion
29 décembre 2006

Article de Libération

La danse fait un grand saut au Burkina Faso

Le 16 décembre, Salia Sanou et Seydou Boro ont inauguré la Termitière, premier centre chorégraphique africain.

Par Marie-Christine VERNAY

QUOTIDIEN : jeudi 28 décembre 2006

Ouagadougou envoyée spéciale.

Le quartier populaire de Samandin à Ouagadougou (Burkina Faso, anciennement Haute-Volta), de briques et de beaucoup de broques, est devenu le haut lieu de la danse. Mal famé, réputé insalubre et peu sécurisé (drogue, vols, etc.) il est du coup en passe de changer de statut, via démolition de quelques habitations précaires, ce qui ne semble guère émouvoir les habitants . Samandin a désormais un bâtiment, tout beau, tout neuf. Blandine et Boubacar, qui s'y promènent régulièrement parce qu'ils s'y sentent bien et qu'ils peuvent y cacher encore quelques amours incontrôlables, le savent bien : «Le quartier va être métamorphosé. On le sent. Bientôt, ce sera un quartier très prisé.» Ils connaissent l'un et l'autre la Termitière, le récent Centre de développement chorégraphique (CDC) inauguré le 16 décembre.

Le maire de la ville, Simon Compaoré, a fort bien saisi l'intérêt d'une telle initiative menée par deux Burkinabés, Salia Sanou et Seydou Boro, chorégraphes et danseurs. C'est l'occasion rêvée de conduire conjointement une opération d'urbanisme et de politique culturelle large. Il faut dire que la Termitière, nom de baptême du premier CDC africain, a de la gueule. La salle de spectacle n'est pas un succédané ; elle peut accueillir 250 personnes et est parfaitement équipée, du plancher flottant aux cintres. Il s'agit d'un véritable outil de travail mis à la disposition d'artistes africains. Avant même son ouverture, certains, en manque cruel de lieu de répétition, ont déjà utilisé les locaux, comme Serge-Aimé Coulibaly, chorégraphe burkinabé, vivant entre son pays natal et l'Europe, notamment la Belgique.

Diffusion. Jusque-là ­ et le retard historique pris par la danse de création sur le continent est évident ­, seuls des festivals ou des écoles de danse ont vu le jour ; jamais un Centre, aux missions allant de la création, de la recherche à la formation et à la diffusion. Alina Koala, ministre de la Culture du Burkina l'a souligné dans son discours d'ouverture, rappelant que, selon le proverbe africain, «la termitière, c'est ajouter de la terre à la terre», invitant les artistes à l'ouverture tout en insistant sur la nécessité de la présence des deux directeurs sur place. Sa venue a été plus que saluée, spécialement par ceux qui ont souffert du désengagement des politiques. «Son soutien est essentiel, dit Germaine Acogny, qui a ouvert une école et un centre près de Dakar (Sénégal). Nous l'avons vu à nos dépens au Sénégal : la culture a beaucoup souffert dès le départ de Senghor.»

Une des questions centrales, celle de l'aller-retour des artistes, du pays d'origine à un pays d'adoption, reste prioritaire. Toutefois, avec la mondialisation «choisie», elle est moins douloureuse. Si Salia Sanou et Seydou Boro n'étaient partis en France, sans quitter le Burkina, le dossier n'aurait peut-être pas abouti aussi «vite», soit dix ans de repérage et de montage.

Impliquant plusieurs partenaires (le ministère de la Culture du Burkina Faso, l'ambassade de France, la commune de Ouagadougou, avec le soutien de CulturesFrance), le CDC n'aurait aucune légitimité, ni aucun statut. Or, il s'impose comme un des lieux phares d'une culture en pleine effervescence et développement. C'est ce que remarque Vincent Koala, promoteur et directeur de l'Odasafrica (Organisation de dynamisation des arts et spectacles en Afrique) : «Il y eut des pionniers, comme Congo Lassann et Irène Tassembedo, mais Salia et Seydou représentent vraiment la première génération de la nouvelle danse ici. Ce Centre, ils l'ont mérité, car c'est un outil nouveau pour le développement. Développement des formes, développement du public ­ qui, pour l'instant est peu nombreux et principalement blanc ­ et surtout pérennité.» Le danger serait la ghettoïsation de la démarche et de l'outil, mais les directeurs n'en restent pas à la danse (leur pratique inclut aussi le cinéma et la musique), et l'inscription dans le quartier ainsi que l'invitation de nombreux autres artistes, entre autres africains mais pas seulement, devraient les préserver de cette impasse.

«Lien continu». Accompagnés par le Centre chorégraphique national (CCN) de Montpellier, puisqu'ils dansèrent dans la compagnie de Mathilde Monnier, Salia Sanou et Seydou Boro mènent toutefois leur propre projet, sans trop se calquer sur le modèle français, peu opérant en Afrique. Michel Chialvo du CCN, producteur délégué pour finaliser le dossier à Ouaga, insiste sur la nécessité du «lien continu même si intermittent» de la structure française avec les artistes burkinabés, les tutelles et les structures locales. Quant au suivi du chantier, inutile de dire qu'il mobilisa tous les partenaires français. Et la salle est une réussite.

Sans doute était-il un peu présomptueux de coupler l'inauguration du lieu avec le festival de danse Dialogues de corps, (sixième édition). Mais tous les artistes invités se sont engagés pleinement dans l'opération, malgré le «couvre-feu». En effet, la fête chorégraphique a quelque peu été entachée dans la nuit du 20 au 21 par un «défilé» de militaires, avec tirs à l'appui, en riposte à une fusillade menée contre eux la veille par des policiers. Après annulation de deux soirées et fermeture du CCF, très engagé dans le festival, tous les danseurs se sont retrouvés pour une soirée «improvisée», clôture collective du festival.

Solidaires, ils ont soutenu leurs collègues chorégraphes burkinabés, pour le moins amers après les échauffourées qui n'ont guère fait cas d'eux. «C'est inadmissible, dit Salia Sanou. Les choses ne devraient pas en arriver là. Je condamne le fait qu'une poignée de gens prétendument militaires prennent en otage toute une ville. Je ne comprends pas la passivité de la population. On a mis dix ans pour arriver à l'inauguration du Centre et le rêve est devenu réalité et deux ans pour préparer le festival... franchement, ça décourage. Dans une situation pareille, on ne peut compter que sur nous, sur notre engagement et sur celui du public. Notre rôle, par nos oeuvres et par notre comportement de citoyens, est d'éveiller les consciences.»

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